Il y a, à la première vue, une terreur du cadre qui ordonne et organise les scènes et règne sur les corps filmés. Scène des jeunes à la mer : on voit un corps dans un paysage mais cet arrière-plan « naturel » est flou, le corps est alors arraché du contexte pour installer dans la vision ; scène des funérailles : la voiture funéraire dépasse presque le cadre désigné mais revient au milieu du plan pour apporter le cercueil, et quand le contrechamp s’effectue on revient sur ce plan-champ avec la voiture et un groupe de villageois bloquant cette fausse sortie du cadre et engage un regard mortel en silence. Dans les scènes à l’intérieur, les champs-contrechamps sont souvent accompagnés par des surcadrages (portes, fenêtres, grilles) comme un seuil mais aussi une obligation de la vision. Aussi ce cadre semble toujours à sa justesse pour attraper les évènements, particulièrement les animaux (chèvre, chien, petit lézard, une mouche), comme si l’image court à la vitesse de l’espace-temps pour vaincre et bien cadrer sinon limiter les corps.
Mais il existe cette résistance qui se situe dans la musique. Dans sa théorie de la relation image-son développée à partir du Diable, probablement (Bresson), Serge Daney parle de la voix-through : un corps filmé parlant opaque, qui rejette la totalité d’image (par exemple quand l’on ne voit pas la bouche signifiant/impliquant une voix « naturelle » liée au corps). Schanelec héritant l’approche de Bresson expérimente clairement avec la sonorité/le bruitage du film. Oui, le protagoniste commence à utiliser la voix par crier fort au dos. Son inconscience le fait rentrer dans l’image, mais sa conscience prend forme et s’agrandit dans la voix (le peu qu’il y soit dans ce film). Pareil pour le film qui échappe à une linéarité dramatique et commence à donner des images parallèles / alternatives quand la musique advient finalement dans le film (qui semblait arrêter pour un instant après une première fois mais et vite reprise et relie donc les scènes parallèles). Toujours la saute dans l’espace-temps du récit exige la musique, véritable maître du rythme du film (par exemple entre les funérailles en Grèce et la vie à Berlin : la fille de Jon chante).
La structure du film devient donc cette longue poursuite entre la fatalité d’image et une liberté de son-musique (les sons sont aussi importants - quand l’image s’arrête longuement sur un plan général / moyen, c’est le son qui parvient à donner des informations ou soutenir encore ce monde fragile fragmenté et songé) qui s’enchaîne l’une épisode après l’autre. La fatalité du mythe intemporel d’Œdipe perd un peu son intemporalité quand on entend de la télévision hors-champ le but de Pirlo ; notons bien que le long du film l’image perd complètement sa définition seulement quand une liste de musique est collée sur le mur de la cellule. Oui dans la cellule de l’image il faut travailler sa voix et chanter. To sing through is “for her to roll straight through me”, “like the light travels through time and space” - comme la très belle chanson écrite par Doug Tielli. On affirme par la Music : « Look at me, look at me, I am a foreign object. »
P.S. Bien apprécié le clin d’œil de Schanelec à Ich was zuhause, aber dans la scène de téléphone où Iro demande ce que veut dire de « être à la maison » et répond finalement qu’elle « n’est pas à la maison ». Le téléphone nous mène ailleurs même hors du film. :)